Saisine du JDP concernant une affiche d’un club sportif, 20 janvier 2023, + réponse
23 janvier 2023 //
L’affiche
Cette affiche a été conçue par l’US Feurs. Feurs est une petite ville de la Loire. Manifestement, elle prétend répondre à des comportements perturbateurs de la part de certains spectateurs, qui auraient été constatés lors de certaines rencontres.
La saisine du Jury de Déontologie Publicitaire (JDP), le 15 décembre 2022
L’un de nos amis, Denis Redon, écrit au JDP, expliquant que cet affichage se trouve sur le stade du club et aussi sur les réseaux sociaux. Et que, sous couvert de la noble intention de lutter contre les incivilités des parents accompagnants leurs enfants aux rencontres sportives, il est clairement sexiste, stigmatise les pères et contribue à perpétuer les stéréotypes de genre.
Il est d’autant plus choqué qu’il fait parler un enfant dont la dernière phrase « Maman te l’avais bien dit » confirme absolument le sexisme . Alors que les témoignages consultables sur les réseaux sociaux expriment que les incivilités sont tout autant le fait de mères qui accompagnent leurs enfants.
En tant que père, il se sent dénigré par cet affichage. Pourtant, il n’est ni violent ni impoli lorsqu’il accompagne ses enfants au sport.
Le JDP accuse réception et lui demande de faire parvenir par écrit toutes « observations complémentaires » utiles, de la manière la plus synthétique possible (2 pages maximum hors annexes) avant le jeudi 26 janvier 2023 inclus. Le texte sera étudié lors de la prochaine séance du JDP, le 10 février 2023. Possibilité nous est offerte de nous exprimer par visio-conférence dans un temps de dix minutes.
Les « observations complémentaires », le 20 janvier 2023
Le GES s’associe à Denis Redon pour produire le texte suivant :
Denis Redon
Groupe d’études sur les sexismes
à M. Alexandre Dallet, président du JDP
le 20-01-2022
objet : plainte du 15 décembre 2022 / affichage de l’US Feurs « PAPA n’oublie pas »
Observations complémentaires
L’association sportive US Feurs a mis en oeuvre un faisceau d’actions (affichage à l’entrée des stades, communication sur les réseaux sociaux) afin de se faire connaître et d’en tirer un bénéfice immatériel : lutter contre les incivilités des spectateurs lors des rencontres sportives.
En effet, son texte énumère une liste de valeurs relevant de l’éthique éducative et de l’éthique sportive, qui sont à respecter par le spectateur (respecter le degré d’implication de l’enfant, respecter les adversaires, respecter l’arbitre). Le fait qu’elles soient rappelées suppose qu’elles ne sont pas respectées par certains spectateurs. Explicitement, dès les premiers mots « PAPA N’oublie pas », les dits spectateurs sont désignés comme les pères, et l’auteur des rappels comme un enfant (« Je t’aime PAPA »). Le texte est celui d’un enfant, participant à des rencontres sportives, qui intervient auprès de son père spectateur parce qu’il a constaté chez lui des comportements déplacés lors de ces rencontres. Nous mettons ce texte en cause pour deux raisons supplémentaires :
– Le texte a implicitement une valeur universelle : les pères y sont présentés comme des personnes irrespectueuses des désirs propres à leur enfant, irrespectueuses des règles et de l’esprit sportif. Il est en contradiction avec l’article 1.3 de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP, qui énonce : « toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers
de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de sons, etc., attentatoires à la dignité humaine. »
– Le fait que le texte ne s’adresse qu’aux pères et la dernière mention « Pourtant maman te l’avait déjà dit » introduisent une comparaison entre les spectateurs de sexe masculin et les spectatrices, les mères. Cette comparaison est très à l’avantage des mères, qui sont présentées, elles, comme bonnes connaisseuses des règles de l’éthique éducative et de l’éthique sportive, au point qu’elles s’efforcent, mais en vain, de les inculquer aux pères. Les mères sont donc très supérieures aux pères dans ces domaines-là. Le texte est clairement en contradiction avec l’article 2.2 de la Recommandation de l’ARPP qui énonce : « La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe ».
Pour toutes ces raisons, nous nous considérons fondés à demander le retrait de cet affichage, ou du moins la refonte du texte, qui en exclurait tout contenu attentatoire à l’image des pères, ou sexiste.
Cette campagne n’est pas anecdotique, puisque le club l’a relayée sur son compte facebook où l’affichage a été partagé plus de 72 000 fois et commenté plus de 10 000 fois. C’est pourquoi il nous semble légitime de demander également le retrait de cette campagne des réseaux sociaux. Vous trouverez en annexe des extraits de commentaires lisibles sur le facebook du club, écrits par des parents des deux sexes, et allant dans notre sens.
Cordialement.
A ce texte sont joints en annexe des extraits de réaction d’internautes ou de supporters du club, qui vont dans le même sens . Ouvrir le PDF ci-après:
La réponse de l’US Feurs, le 16 janvier 2023
Eric Cheminal – co-président
Jury de Déontologie Publicitaire
Feurs, le 16 janvier 2023
Madame, monsieur,
J’accuse réception de votre demande de justification et de précisions concernant l’apposition d’une bannière visant à sensibiliser les supporters au respect et à la mesure à observer autour des terrains de football.
Le 9/12 l’USF met en place des bannières à l’entrée des terrains sur lesquels jouent les jeunes footballeurs et footballeuses; L’idée vient à la suite d’incidents mineurs constatés à Feurs et sur les terrains extérieurs. Inspirée de l’un de nos déplacements, nous avons décidé de mettre en place ce dispositif afin d’alerter les spectateurs sur la bonne conduite à tenir dans l’enceinte du stade.
Cette affiche se veut avant tout une occasion de réfléchir à l’attitude à observer autour des terrains où nos enfants pratiquent leur passion plutôt qu’un déclencheur de polémiques !
Le Comité Directeur de l’Union Sportive de Feurs est composé de 4 papas de joueurs, le Conseil d’Administration est composé de 18 membres dont 14 sont des hommes et une quarantaine de dirigeants dont 1/3 sont des femmes, il n’était évidemment pas convenu de stigmatiser les papas, tel ou tel, ni les jeunes parents ou les grand-parents plus âgés.
Pour preuve, notre Responsable Communication faisait part de réserve lors de son entretien à Le Progrès paru le 14/12. Il a par ailleurs, systématiquement conseillé l’inclusivité aux nombreux clubs l’ayant contacté.
Le vice-Président en charge des jeunes faisait, quant à lui, l’explication de texte sur France Inter le 16/12 avec le témoignage vécu d’une maman de footballeur forézien.
Nous avons pu mesurer, au travers des réseaux sociaux que la majorité accueillait la démarche positivement voire encourageait l’initiative ou demandait des conseils pour répliquer.
Dans d’autres cas, les commentaires s’offusquaient du contenu « maladroit » mais pas malveillant !
En tout état de cause, il est nécessaire de dissocier le fond et la forme et de s’autoriser une lecture au 2nd degré. Un club sportif a une vocation sociale dans son rôle d’éducation sportive et morale des enfants mais également des accompagnants.
Pour votre information, dès le 10/12 le club a prévu de modifier cet affichage et le rendre plus inclusif; Le nécessaire sera fait au printemps.
Notre commentaire
Le co-président de l’U.S. Feurs affirme vouloir “sensibiliser les supporters au respect et à la mesure à observer autour des terrains de football”. Nous ne pouvons que soutenir ce projet. Mais l’affichage qui est en question ne va pas dans ce sens. Au contraire, il fait une différence entre deux catégories de supporters : le pères (“Papa”), qui seraient de mauvais supporters, et les mères (“maman”), qui seraient des supporters exemplaires. Aucun des arguments utilisés par le co-président ne vient réfuter cette réalité évidente dans le texte.
Nous ne voyons pas là de la malveillance, mais une habitude de conformité à l’idéologie misandre, qui est devenue prégnante dans notre société.
Le co-président admet cependant implicitement qu’il y a un problème, puisqu’il annonce une modification de l’affichage. Nous nous en réjouissons et suggérons que le nouvel affichage s’adresse à tous les supporters, sans distinction de sexe ou d’âge, qu’ils soient pères, mères ou enfants.
.
La visioconférence, le 10 février 2023
Conformément à la proposition du JDP, Denis Redon participe à une visioconférence, d’une durée de dix minutes, devant une commission, à laquelle étaient également invités le club et la Fédération française de football, qui ne se sont pas manifestés. Il développe nos arguments, qui ne suscitent pas de questions particulières, sauf de savoir si c’est l’allusion à « maman » à la fin du texte qui nous choque particulièrement (?).
Le président soulève le problème de l’acceptabilité de la plainte : s’agit-il réellement d’une publicité ? Denis Redon répond positivement en faisant remarquer que l’affichage a fait ensuite l’objet de discussions dans les médias (Le Progrès, France Inter) comme le souligne l’US Feurs elle-même.
La commission devra donc délibérer d’abord sur la recevabilité de la plainte, puis sur le fond. Elle rendra son avis dans une dizaine de jours.
La réponse du JDP, le 13 mars 2023
Dans un long document, le JDP reprend la genèse de l’affaire, le contenu de notre plainte, les arguments en défense de l’US Feurs. Il procède ensuite à une analyse, dont nous reproduisons ici la conclusion (nous avons coloré les passages importants en gras) :
(…) Le Jury estime que, sur le fond, un tel message contribue très opportunément à la sensibilisation du public à la question majeure des violences et incivilités dans le monde du football amateur des jeunes et de la pression psychologique des adultes sur les enfants dans ce contexte, laquelle peut avoir des conséquences particulièrement néfastes sur leur épanouissement et leur bien-être psychologique.
Pour autant, et comme l’admet du reste le club annonceur, le Jury estime que ce texte repose sur une vision sexiste de cette problématique, en imputant à l’homme, et à lui seul, les comportements répréhensibles dénoncés, par contraste avec sa compagne qui, elle, adopterait une attitude raisonnable et contribuerait même à y sensibiliser le premier. Or, s’il est vraisemblable que les écarts de comportement qu’on peut déplorer dans les stades sont majoritairement imputables aux pères, ces derniers n’en ont pas le monopole.
Le Jury est donc d’avis que la publicité méconnaît le point 2.3. de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP. Il prend acte de l’intention du club annonceur de modifier la bâche au printemps prochain.
Avis adopté le 10 février 2023 par le Jury de déontologie publicitaire, composé de M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Lenain, Charlot et Boissier, MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.
https://www.jdp-pub.org/avis/us-feurs-internet/
Notre commentaire, le 15 mars 2023
Le JDP a effectué un travail consistant, qui prend en compte de manière équitable notre point de vue et celui de l’U.S. Feurs. Nous notons avec satisfaction qu’il souscrit à notre analyse, en estimant que « ce texte repose sur une vision sexiste« . C’est l’essentiel. Il est dommage qu’il nuance ce propos en estimant aussi, faisant une concession à l’idéologie dominante, que « les écarts de comportement qu’on peut déplorer dans les stades sont majoritairement imputables aux pères« , ce qui, à notre connaissance, n’est pas établi par quelque enquête que ce soit.
Nous observerons avec attention si le club tient son engagement de modifier la bannière, et le nouveau contenu de celle-ci. Si celui-ci est véritablement non-sexiste, nous considérerons que l’objectif de notre saisine a été parfaitement atteint.
20 mars 2023. Article de John Goetelen : http://leshommeslibres.blogspirit.com/archive/2023/03/20/arret-sur-image-shetoo-ou-le-sexisme-invisible-dans-le-foot-3339491.html?fbclid=IwAR2qoxhOQRy-osdqHquMuNT1yG8UfYZaX77LYtI_M3XncbMtbJlghV8b1RA