MeTooMuch ? Philippe Bilger. Heliopoles, 2025 / Patrick Guillot
20 mars 2025 //.
MeTooMuch ? Philippe Bilger. Héliopoles, 2025
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Philippe Bilger a été avocat général à la cour d’assises de Paris durant plus de 20 ans : voilà donc quelqu’un qui sait de quoi il parle.
L’ouvrage est un essai, court, écrit à la première personne. Il porte sur MeToo, mais plus largement sur les accusations d’agression sexuelle, les vraies comme les fausses. L’auteur ne remet pas en cause les vraies, mais il traite surtout des fausses, pour en décrypter le mécanisme. Il emploie pour cela un procédé original, consistant à imaginer comment pourrait se déclarer une (possible) accusation contre lui-même :
Comme je suis un avocat renommé, que j’ai des succès, beaucoup d’argent et qu’on me prête une multitude de liaisons, un jour, c’est certain, je vais passer à la trappe. J’ai peur. Le couperet va m’atteindre. Je les devine déjà qui rôdent autour de moi, les jaloux, les aigris, les médiocres, celles que j’ai désirées, celles qui m’ont voulu, celles que je n’ai pas voulues. Il se trouvera bien une assistante ou une secrétaire renvoyée, qui découvrira sur le tard, juste au moment de partir, que j’ai été un ignoble personnage, qu’il m’est arrivé, je ne sais pas, de lui faire un compliment sur son physique, de la harceler, de lui toucher par mégarde une fesse ! (p. 6)
Procédé qui lui permet de décrire les différents concepts utilisés pour crédibiliser les fausses accusations, par exemple celui d’ « emprise »:
L’emprise est devenue le terrible vecteur, trop cultivé, redoutablement banal, de possibles erreurs judiciaires fondées sur le fait que, la femme étant forcément sincère et ne se prétendant jamais victime pour rien, l’homme visé est nécessairement le « porc » que les ligues féministes se plaisent à décrire et à détruire. Le mot n’est pas trop fort puisqu’on a vraiment l’impression, au-delà de l’accusation, que c’est la virilité en tant que telle qui est toxique, l’insupportable présence, dans l’univers humain, de ce sexe de trop, qui est récusée. (p. 30)
L’un des passages qui interpelle le plus est la narration d’un débat engagé avec ses propres enfants, au cours duquel il découvre avec incrédulité que ceux-ci , eux aussi, sont conditionnés par le discours misandre dominant. Lequel les réduit à penser le rapport entre les sexes en termes d’homme=bourreau/femme=victime. D’où son douloureux ressenti :
Comme si les principes de la justice ordinaire qui pour d’autres matières les avaient mobilisés, ne devaient plus avoir cours. J’étais perdu à leurs yeux puisque je ne me trouvais plus du bon côté de l’humain, aux côtés de la femme se plaignant, et donc forcément victime. Je ne pouvais plus espérer les convaincre et seulement à prendre acte du fait que ma famille avait accepté, en toute bonne conscience, de me juger en insupportable dissident. (p. 51)
Ce livre est excellent en ce qu’il décrit bien l’atmosphère prégnante de menace dans laquelle vivent les hommes de la société d’aujourd’hui. Cela n’empêche pas d’en constater les limites :
– l’auteur semble croire que les fausses accusations ne visent que les figures connues de la télévision et du cinéma. Nous savons qu’au contraire elles touchent tous les milieux de la société, à des degrés variables selon les moments : les enseignants, les médecins, les thérapeutes, les pères divorcés, etc. Et qu’elles sévissent aussi à l’intérieur des entreprises.
– sauf de manière quelque peu allusive, l’auteur ne rattache pas les fausses accusations aux autres formes d’injustices misandres dans la société.
– enfin l’on pouvait attendre d’un ancien avocat général des propositions quant aux procédures préventives et judiciaires des fausses accusations, mais elles n’apparaissent pas. Les dernières propositions viennent du livre du psychiatre Paul Bensussan (La dictature de l’émotion, 2004). Mais ce n’est peut-être que partie remise.
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Patrick Guillot
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Relire notre dossier : https://www.g-e-s.fr/base-de-documentation/dossiers/les-fausses-accusations-dabus-sexuel/