« L’année de grâce », de Kim Liggett. 2024 / Henri L’Helgouach

20 décembre 2024   //

 

L’année de grâce, de Kim Liggett. Gallimard jeunesse, 2024

Nous publions ici le courrier d’un de nos amis, envoyé à son libraire qui lui a recommandé ce livre pour un cadeau à une adolescente. Cet ami a été désagréablement surpris de découvrir que ce roman véhicule des thèses explicitement misandres. Copie du courrier a été envoyé à l’éditeur.

 

Henri L’Helgouach

Le 19/12/2024

Lettre à la librairie X

Madame,

Je viens de lire le livre de Kim Liggett intitulé L’année de grâce, et que vous avez recommandé à une adolescente. Je ne ferai pas de remarques sur la forme car ce texte est très bien écrit. Seul le contenu pose problème. La quatrième de couverture précise qu’il s’agit d’une formidable dystopie féministe. Selon la définition qu’en donne le dictionnaire, c’est donc un récit de fiction qui décrit un monde utopique sombre, une société imaginaire organisée de telle façon qu’il soit impossible de lui échapper, impossible à vivre et dont le modèle ne doit pas être imité. On trouve également un logo indiquant les thèmes traités par l’autrice selon leur importance, à savoir l’exil, la sororité, l’espoir et… le patriarcat qui occupe une première place sur le cercle dessiné au dos du livre. Je m’interroge alors sur le rapport qui pourrait exister entre le label féministe et ce roman digne d’un film d’horreur.

En effet, on y décrit une société barbare où les femmes sont les première victimes, une sauvagerie organisée par les hommes. Sur fond religieux, on fait subir aux filles les pires humiliations et d’affreuses souffrances. Elles sont punies, violées, chassées, tuées et dépecées. Esclaves et soumises à des rites avilissants, elles ne vivent que pour obéir à un ordre social et toutes sortes d’interdits, voulus par un système dirigé par des hommes. En ce domaine, l’imagination de Mme Liggett est sans limite. Mais, contrairement à ce féminisme, je ne connais pas de communautés, même parmi les plus archaïques, ayant rabaissé la gent féminine à un tel niveau. Quel est donc le but poursuivi par cette militante qui s’adresse aux jeunes filles à travers un ouvrage aussi funeste ? Les femmes ont pourtant, et depuis longtemps, les mêmes droits que les hommes dans nos sociétés civilisées. Ce patriarcat délétère qui l’obsède dans ce livre n’existe pas et n’a jamais existé.

Dans ces remerciements (p 465), la narratrice dit avoir été inspirée par une jeune fille de 13 ou 14 ans qui attendait son train dans une station à New York : « Elle dégage cette énergie nerveuse de l’adolescente bientôt femme… Un homme en costume passe devant elle et la jauge des pieds à la tête, machinalement. Je connais ce regard. Elle fait partie du gibier désormais. Elle est devenue une proie… – Ce qu’on peut faire subir aux jeunes filles, me dis-je tout bas… Je fonds en larmes. Pour cette fille. Pour ma fille. Pour ma mère, ma sœur, mes grand-mères… Je dois écrire ce livre ». Tout ceci en dit long sur la pensée féministe actuelle, sur cette vision fantasmée d’une humanité partagée en deux : d’un côté les prédateurs et de l’autre les éternelles victimes ! Et c’est ce stéréotype que l’on veut enfoncer dans la tête de nos filles. Sauf que l’ado n’a pas toujours les armes et le recul nécessaires pour relativiser. Pourquoi lui imposer, à cet âge, cette idéologie séparatiste et la haine de l’autre sexe ? Pensez-vous que ce soit le meilleur moyen de vivre ensemble ?

Sincères salutations.